Nucléaire et anti, antinucléaire
« Est-il suffisant d’être anti ? », autrement dit comment avec une question en poser deux : une sur le rapport entre luttes sociales et changement social et une autre sur le passage des luttes locales aux « luttes globales ».
Et tout cela plus particulièrement en lien avec les luttes antinucléaires. Celles-ci constituant en effet une bonne illustration de la problématique, car à travers le mouvement antinucléaire on peut deviner comment a évolué le militantisme ces cinquante dernières années, comment la problématique du changement de société s’est transformée.
1 – Evolution des luttes antinucléaires : du NIMBY vers l’échec :
1.1 Du NIMBY :
En ce qui concerne l’histoire des luttes antinucléaires en France il est plus facile de commencer par la conclusion qui n’est pas très excitante en constatant qu’elles ont échoué.
Ce mouvement antinucléaire n’a jamais réussi à s’imposer dans le débat politique à l’occasion des élections par exemple.
Du côté des luttes force est de constater l’indigence des manifestations antinucléaires en France. J’ai participé aux deux dernières à Paris, il y a eu environ 500 personnes à celle du 30 avril 2011, et environ 3000 le 11 juin : une misère comparé aux 80 000 personnes mobilisées en 1977 contre le surgénérateur Superphénix à Maleville ou en Allemagne en 2011.
Regardons maintenant l’histoire de ces luttes, c’est le NIMBY qui domine ! Si l’on met de côté celles menées à Erdeven en 1971 en Bretagne et peut-être celles de Maleville en 1977, à chaque fois les populations se sont soulevées contre la construction d’une centrale nucléaire chez eux mais pas contre le nucléaire en général, civil et militaire dans toute la France.
Le résultat ce fut une succession de luttes locales qui n’ont jamais vraiment convergé dans un rejet national et global du nucléaire.
1.2 Comment en est-on arrivé là ?
Si l’on exclut la lutte pour l’atome pacifique orchestrée par le PCF, le mouvement contre le nucléaire civil a vraiment commencé en 1956 avec la création de l’APRI par l’instituteur Pignerot qui s’opposait à l’obligation de subir des radiophotographies médicales. Puis avec le lancement du programme électronucléaire français à la suite de la loi du 30 Octobre 1968 (sic !) et surtout sa mise en œuvre à partir des années 70, sont apparus des Comités Anti Nucléaires à Fessenheim, Bugey, Plogoff, Erdeven…Malgré le « péché » de « NIMBY », ces oppositions ont réussi à mobiliser beaucoup de gens et culminèrent dans la manifestation de Maleville en 1977, où le traitement quasi militaire et brutal du gouvernement de l’époque donnera un coup d’arrêt à ce mouvement en France. Ensuite l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, lui donnera le coup de grâce. Dans les années qui vont suivre le mouvement va se trainer jusqu’à aujourd’hui malgré une petite relance après l’accident de Tchernobyl en 1986.
Mais si l’on met de côté l’unité de la gauche et de la droite sur le nucléaire et la brutalité de la répression d’autres causes peuvent être invoquées à cet échec.
Premièrement des alliances politiques inacceptables entre Les Verts anti nucléaires et le PS pro nucléaire.
Deuxièmement, l’absence d’un scénario de sortie du nucléaire crédible notamment au sein du Rézo « sortir du nucléaire ».
Rappelons que si les antinucléaires avaient gagné à l’époque et si le programme électronucléaire n’avait pas été lancé nous aurions aujourd’hui 85 % de fossile thermique et 15 % de renouvelable, et l’on sait que nos société industrielles ne peuvent pas fonctionner avec 100 % de renouvelable, car sans soleil pas de photovoltaïque et sans vent ou lorsqu’il souffle trop fort pas d’éoliennes, et l’électricité ne se stocke pas….
Mais le plus grave c’est que les opposants n’ont pas mis en avant l’ACCIDENT MAJEUR comme cause d’opposition au nucléaire. Au lieu de cela ils ont insisté sur les DECHETS, le RECHAUFFEMENT des eaux par les rejets des réacteurs, etc.…
Enfin, la confusion entre sortie du nucléaire et gaz à effet de serre à partir des années 90 est venu encore compliqué les choses. Le nucléaire est mineur dans le monde, l’électronucléaire français marginal, la part de l’électricité dans la génération de gaz à effet de serre moitié moins que celle des transports, par conséquent remplacer le nucléaire par du thermique fossile ne produirait pas beaucoup de gaz à effet de serre en plus…
Bref, on l’aura compris la cause de l’échec du mouvement antinucléaire ne réside pas dans l’existence ou non d’un réseau de réseau mais d’abord dans une analyse erronée des raisons d’une opposition au nucléaire (l’ACCIDENT) – alors que les Etats savaient que le nucléaire était cause d’accident majeur – et dans les scénarios de sortie non crédibles [voir ce qui se passe en Allemagne dénué de « réseau de réseau »]
2 Evolution du militantisme :
2.1 La fin du « sens de l’histoire » :
L’échec du mouvement anti nucléaire soulève la question de l’évolution du militantisme.
Au départ, le mouvement de « l’atome pour la paix » était dominé par le PCF. Ce type de mouvement était gouverné par la foi que l’histoire avait un sens. Avec l’effondrement des systèmes soviétiques, il est devenu évident que l’histoire n’a pas de sens prédéfini. Elle est indéfiniment ouverte à l’invention et toutes prétentions de la figer dans un éternel recommencement ou de fixer son sort une fois pour toute est démontée comme illusion.
Est-ce que les objecteurs de croissance ne remettent pas en avant ce fameux « sens de l’histoire » lorsqu’ils évoquent la « perte de sens » apportée par le capitalisme spectaculaire-marchand ? Croient-ils encore en une société idéale où ceux qui souffriraient n’auraient qu’à s’en prendre à eux-mêmes puisqu’ils seraient dans une société achevée au sens de l’histoire.
Mais parler de l’histoire c’est parler du temps.
Il existe deux temps, celui de la vie –fini- et celui du monde –infini-, ce dernier contenant le temps de la vie et tout ce qui nous échappe. Nous n’avons qu’une certitude en ce qui concerne notre monde,c’est qu’il est dominé par un idéal de connaissance scientifique sans borne et un déferlement technologique infini dans un monde fini, peuplé d’humains aux temps de vie fini.
2.2 Etre [ANTI] quoi d’abord ?
Dans ces conditions est-ce que le militantisme aujourd’hui ne se doit pas d’abord d’être « anti » système technologique et de s’opposer à sa toute puissance ?
Bien sûr cette opposition doit aussi s’accompagner de propositions crédibles – de sortie du nucléaire – par exemple ou de la société industrielle, mais sans attente eschatologique d’un grand soir, ni d’une société idéale.
Un autre objectif du militantisme dans un monde nucléarisé est de « sauver sa peau » d’abord, face aux catastrophes contenues par le système technologique.
Ne jamais oublier de rappeler les célèbres propos de Dante « toi qui entre ici (en politique) abandonne tout espoir » ! Paradoxe ? seulement en apparence car vivre reste une aventure passionnante, mais ne sera possible que si l’on réussit à contrôler le système technologique.
2.2 Importance de la RETHORIQUE, misère de l’électoralisme :
Un outil privilégié par le militantisme reste la « rhétorique » et la critique permanente qui ont déserté les débats dans les partis politiques à l’époque où le seul souci est celui de la prise du pouvoir et l’électoralisme qui les habite.
Avec l’électoralisme le « mal » c’est l’autre parti, et ainsi il est exclu que l’on débatte de l’essentiel, bien au contraire c’est la plupart du temps le superflu qui hante les déclarations des partis politiques car c’est le centre, qui est visé afin de convaincre les « votes flottants » et d’assurer les élections. Alors que le « mal » (pour parler avec des termes chrétiens)est plutot dans l’homme, celui qu’on appelle le citoyen. C’est lui qui soutient l’oligarchie, le nucléaire, le capitalisme, le productivisme…par ses votes réguliers en faveur des partis libéraux ou néo-libéraux. En effet, ce monde de la technologie ce n’est pas Dieu qui l’a crée, mais le peuple par démission ou par adhésion, car la France est encore un pays démocratique formelle où un autre vote est possible.
3) De l’organisation :
Après l’analyse de la posture, voyons maintenant quelle serai l’organisation optimale d’un tel mouvement ?
Rappelons que notre organisation est dépendante des mouvements de l’ennemi, du moins en matière de nucléaire, et si l’on examine l’avenir de celui-ci trois possibilités se dessinent :
I) Il va s’éteindre de lui-même, ce qui semble inéluctable compte tenu du nombre de commandes ou de projets de nouveaux réacteurs dans le monde. Bientôt dans 10 ou 20 ans, 300 réacteurs sur 435 dans le monde auront atteint ou dépassé 30 ou 40 ans, mais seulement 10 % dans le meilleur des scénarios sont en commande ou en construction. On pourrait donc parier sur un échec de la « relance » du nucléaire et ainsi qu’il va s’éteindre de lui-même. Ce serait malgré tout inquiétant, car il y aurait encore la possibilité de voir se produire de nombreux accidents durant ce long délai.
II) Les partis politiques électoralistes vont programmer son extinction progressive sous la pression des électeurs, c’est ce qui se passe en Allemagne et va sans doute se produire au Japon. Avec le forfait de la troisième et de la quatrième puissance économique dans le monde, les commandes liées à cette industrie vont s’éteindre et la position des pays nucléocrates ne pourra qu’en sortir affaiblie. La France sera la première visée. Mais là encore même avec son arrêt progressif en20 ou 30 ans, on pourra avoir un ou plusieurs accidents majeurs.
III) Un vaste mouvement antinucléaire se développe et réussit à obtenir des élus le vote d’une loi programmant l’arrêt IMMEDIAT du nucléaire, avec le souci d’éviter l’accident MAJEUR.
La caractéristique du nucléaire à notre époque, après Fukushima c’est donc l’échec de sa relance et le fait qu’il restera marginal, même dans les rêves les plus fous des nucléocrates.
Dans ces conditions : pourquoi s’opposer ? Etant donné qu’il n’a plus d’avenir on pourrait se contenter d’attendre qu’il s’éteigne de lui-même et comme les tenants de la sortie progressive mettre en avant l’aspect financier ou le renouvelable et ignorer les impacts d’un accident MAJEUR.
Nous pensons au contraire qu’il faut se battre maintenant pour la sortie immédiate seul scénario crédible qui permettra d’éviter l’accident majeur qui rendrait la rupture vers la décroissance difficile.,
Avec le nucléaire nous nous éloignons de la classique lutte des classes. Au lieu des combats contre le MODE de Production, on lutte contre les PRODUITS de la société industrielle.
Ces luttes peuvent s’organiser en parallèle de la mise en œuvre d’expérimentations sociales toujours autour des produits, mais la spécificité des luttes « anti » c’est qu’elles peuvent déboucher sur l’adoption d’une loi organisant la disparition du PRODUIT nuisible mais pas sur un « Grand Soir » puisque nous avons reconnu qu’il n’était plus d’actualité. Les expérimentations sociales permettent de mieux survivre à l’intérieur du système technologique et peuvent mener à un changement civilisationnel, si l’immense majorité de la population accepte de changer de façon de vivre.
Dans l’histoire nous avons déjà eu des exemples de changement civilisationnel, mais est-il possible de faire converger des luttes anti et des expérimentations sociales ? Ce pourrait être l’objet du débat qui va suivre, mais un premier axe de convergence pourrait être la création d’un Centre de Convergence des Luttes contre les Produits de la Société Industrielle : nucléaire, TGV, autoroutes, agriculture productiviste, automobiles, etc…il pourrait gérer un centre de recherche sur les PRODUITS, de quels produits avons-nous besoin, selon quels critères sélectionner les produits, l’innovation, les recherches, comment assurer les reconversions industrielles par exemple ?
Commentaires récents