Les agrocarburants contre les peuples du sud
Par Thierry Brugvin – Sociologue
Introduction
Fin 2010, des émeutes de la faim ont éclaté, comme ce fut le cas en 2008, du fait de l’accroissement rapide des matières premières agricoles notamment. Il y a plusieurs raisons à cela, la spéculation financière, le niveau de vie des pays les plus riches et la raréfaction progressive des ressources non renouvelables.
Le développement des agrocarburants contribue à affamer les plus malnutris.
En 2009, il y avait 6,8 milliards d’habitants sur Terre et déjà 1,02 milliard de personnes en situation de malnutrition, selon un rapport de la FAO, soit 1,5 personne sur 10 sur la terre1. Selon Jean Ziegler, « la mortalité due à la sous-alimentation représentait 58 % de la mortalité totale en 2006. Dans le monde, environ 62 millions de personnes, toutes causes de décès confondues, meurent chaque année. En 2006, plus de 36 millions sont mortes de faim ou de maladies dues aux carences en micronutriments »2.
En 2011, le problème de la famine actuellement ne relève pas de carences dans la production, puisque l’agriculture produit suffisamment. La première cause de la malnutrition réside en réalité, principalement, dans un manque de solvabilité des plus pauvres, du fait d’une redistribution insuffisante des richesses. En effet, le BIT estimait, à 23%, la part de la population des pays à bas salaire qui était condamnée à survivre avec 1 dollar par jour3. La malnutrition s’explique ensuite par la spéculation sur les matières premières alimentaires, l’utilisation d’agrocarburants et le gaspillage de la nourriture. Selon la FAO et l’institut Suédois SIWI, plus de 50% de la production mondiale de la production mondiale annuelle de nourriture était gaspillée, en 20084. Les problèmes de famines dans le monde pourraient donc déjà être éradiqués, par le seul moyen d’une meilleure gestion de la distribution et de la solvabilité des consommateurs. La première cause de ce gaspillage réside, dans la grande distribution, car ses dirigeants préfèrent jeter à la poubelle la nourriture dont la date de péremption est dépassée, plutôt que de risquer un scandale sanitaire. La restauration collective contribue aussi à ce gaspillage, car une large partie de ce qui est produit n’est pas consommée. Enfin, les individus jettent aussi beaucoup de nourriture. Selon l’ADEME, en un an, chaque Français jette en moyenne 7 kg de produits encore emballés, non entamés.5
Concernant les pratiques de la restauration (notamment collective), France Nature environnement précise que le gaspillage s’explique « par la quantité de nourritures servies non ajustées aux besoins des clients, plats ne correspondant pas au goût des clients, gestion des stocks, organisation en cuisine centrale, etc. (…).Dans la région bruxelloise, par exemple : le gaspillage alimentaire est composé de 48% de produits entamés (problème de gestion des quantités achetées), dont en grosse majorité le pain, les pâtisseries, les biscuits, les fruits et légumes; 27% de produits périmés (problème de gestion des dates de péremption), surtout les fruits et les légumes puis les produits de viande, les produits laitiers et les plats cuisinés; 25% de restes cuisinés (…). Dans les pays les plus pauvres, la majorité des pertes a lieu avant d’atteindre le consommateur : 15 à 35% dans les champs et 10 à 15% au moment de la fabrication, du transport et du stockage. Dans les pays riches, la production est plus efficace, mais les citoyens jettent beaucoup d’aliments »6. Le gaspillage de céréales, de légumes et de viandes accroît non seulement le coût des denrées alimentaires, mais leur production inutile augmente aussi la consommation d’eau déjà insuffisante, l’empreinte écologique, le niveau de CO2, le réchauffement climatique…
Le permafrost représente une véritable bombe à retardement climatique. Le permafrost (pergélisol) se compose de terres gelées qui représentent 20% des surfaces terrestres de la planète.Celui-ci contient du méthane gelé. Or, ce gaz s’avère « 15 à 20 fois plus nocif que le CO2 dans la fabrication de l’effet de serre ! »7. À partir d’un certain niveau du réchauffement climatique, l’accélération de la fonte du permafrost s’accentuera, ce qui accroîtra à nouveau la température terrestre, créant un cercle vicieux destructeur, un emballement exponentiel, sans qu’il soit possible de revenir en arrière. Si le permafrost dégelait de manière excessive, la planète deviendrait alors rapidement une cocotte minute, les êtres humains et la majeure partie des êtres vivants n’y survivraient pas. Or, le principe de précaution contre le réchauffement climatique est peu appliqué par les gouvernements et les citoyens les plus riches. De plus, nous savons que la terre subit une hausse des températures, mais nous ne savons ni quel niveau cela peut atteindre, ni dans combien de temps.
La responsabilité du réchauffement climatique revient d’abord aux pays riches.
Face aux besoins croissants en nourriture, on accuse les pays dont la démographie et la croissance augmentent rapidement, comme la Chine, le Brésil, ou l’Inde. Face à la croissance de l’effet de serre et des risques que fait peser la production du CO2 sur le climat, on reproche en particulier à ces pays de croître, afin d’imiter le modèle occidental productiviste. Ce dernier, s’il a permis à la majorité de la population de subvenir à ses besoins essentiels, a comme inconvénient majeur, qu’il n’est pas soutenable, car les ressources terrestres non renouvelables sont insuffisantes à terme et le réchauffement climatique met les conditions de vie sur terre en péril.
Selon le ministère de l’Environnement, en 2008, la Chine émettait 22,3% des émissions de CO2, contre, 19,1% pour les USA, 4,9 pour l’Inde 1,3% pour la France, et 1,2% pour le Brésil. Depuis que la Chine est devenue le plus grand contributeur du réchauffement climatique de la planète, nombreux sont ceux qui l’incitent à diminuer ses émissions, d’autant que cela limiterait la capacité concurrentielle de la Chine, dans la compétition économique internationale. Cependant, le pays ayant émis le plus de CO2, depuis le début de l’ère industrielle, est l’Angleterre. Par contre, si nous mesurons cette pollution en fonction des kg de CO2, par habitant, ce n’est plus la Chine, ni l’Angleterre, qui tiennent la tête, mais les États-Unis, avec 18,4 TEC/hab. Enfin, si on prend le niveau de l’empreinte écologique par habitant, c’est les Emirats Arabes Unis, qui tiennent la tête avec 12ha/hab en 2005 selon le WWF, suivi par les Etats-Unis étaient à 9,5ha/hab. Ces divergences d’évaluation de la dette écologique permettent à chacun de ces pays d’éviter de faire le premier pas, dans la réduction de l’effet de serre, considérant chacun qu’ils ne sont pas les plus responsables. Or, en réalité la responsabilité est proportionnelle à l’impact des nations et de chaque individu.
Selon l’AIE (l’agence internationale de l’énergie), la terre ne pouvait pas absorber chaque année, plus de 22 milliards de tonnes de CO2/an, soit 3 milliards de tonnes d’Équivalents Carbone. Depuis les années 1970, les terriens en émettent près de 7 milliards, soit le double de l’émission soutenable. Lorsqu’il y avait 6 milliards d’habitants, il fallait 500kg de carbone par an et par habitant. Selon l’AIE, en 2010, afin de ne pas accroître le réchauffement climatique, l’objectif mondial à ne pas dépasser était de « 3 milliards de tonnes de carbone pour 6,7 milliards d’individus (en passe de devenir 7 à 9 d’ici à 2050), cela signifie, si nous répartissons équitablement le « droit à émettre », tout au plus 460 kg de carbone par personne et par an ou encore 1,64 tonnes de CO2 par personne et par an (en moyenne planétaire) » souligne Jean Marc Jancovici8. En 2008, selon les statistiques du ministère de l’Écologie, la pollution en Tonne Equivalent Carbone (TEC), d’un habitant des USA était de 18,4 TEC, de 5,7 pour un français, et de 4,9 TEC pour un Chinois9. Ce dernier polluant donc trois fois moins qu’un américain au plan du CO2 et près de 5 fois moins au niveau de son empreinte écologique (2ha/hab, contre 9,5).
Si on compare cela, aux mesures les plus récentes, c’est-à-dire celles des émissions de 2004 (publiées dans les statistiques de 2010), « ce « quota équitable » de 460 kg de carbone par personne et par an représente moins de 10% des émissions de CO2 d’un Américain, d’un Australien ou d’un Canadien, qui devrait donc diviser ses émissions par 10 à 12 pour participer équitablement à l’effort de réduction mondiale nécessaire, 25% des émissions d’un Suisse, d’un Français, environ 30% des émissions d’un Chinois ». Tous ces pays devraient donc diminuer leurs émissions de CO2, par contre, 460Kg, ne représentent que « 2 fois les émissions d’un Pakistanais ou d’un Philippin, et 5 fois celles d’un habitant du Bangladesh : quelques pays ont donc encore la possibilité d’émettre un peu plus», tandis que les Indiens émettaient le quota moyen admis10.
En fait, concernant le réchauffement climatique, chacun d’entre nous dispose d’une part de la responsabilité proportionnelle à ses émissions de CO2. Jean Marc Jancovici nous explique que 500 kg d’Équivalent Carbone correspond concrètement à une seule des actions ci-dessous :
– un vol en avion aller-retour Paris-New York par an ;
– 5000 km par an en voiture
– moins de la moitié de la consommation annuelle d’électricité par français qui est de 6700Kwh,
– 1,5 micro-ordinateurs à écran plat par an
– 200 clics Internet par jour pendant un an…11.
Le combustible des automobiles au Nord contre la nourriture au Sud ? Concernant la consommation journalière de pétrole, un Chinois en consomme de 0,5 à 1,1 litres, un américain de 11 à 12 litres, soit près de 12 fois plus12. Or, Jacques Diouf, le directeur de la FAO, précisait qu’il y avait déjà 100 millions de tonnes de céréales transformées en carburant en 200613. Jean Ziegler souligne qu’il faut 232 kg de maïs nécessaire pour faire un plein de cinquante litres d’éthanol. Cette quantité de maïs représente assez de calories pour faire vivre un enfant pendant un an14.
Un rapport confidentiel de la Banque mondiale, obtenu par le Guardian, affirme que Don Mitchell, un économiste réputé de la Banque mondiale, « a calculé le prix d’un panier de denrées entre janvier 2002 et février 2008 et mesuré une hausse globale de 140%. Prenant en compte la ’’chaîne des conséquences’’, Mitchell estime que sur les 140% d’accroissement, 35% sont imputables à la hausse des prix de l’énergie, des engrais et à la faiblesse du dollar, et 75% aux agrocarburants. Le rapport ’’affirme que la production des biocarburants a désorganisé le marché des produits alimentaires de trois façons majeures. D’abord [la demande pour les biocarburants] détourne le blé vers l’éthanol et non vers l’alimentation. Ensuite, à l’heure actuelle, presque un tiers du maïs produit aux Etats-Unis sert à la production d’éthanol et environ la moitié des huiles végétales (colza, tournesol, etc.) sont utilisées pour le biodiesel. Et finalement, cette dynamique haussière a attiré la spéculation sur les céréales ’’ »15.
Jacques Berthelot estime que « les États-Unis sont indubitablement les principaux responsables de la flambée des prix agricoles et des émeutes de la faim actuelles, par les objectifs déments qu’ils se sont fixés pour la production de biocarburants et parce que, comme on l’a vu, ce sont les prix des grains des États-Unis qui font les prix mondiaux sur lesquels les autres pays exportateurs s’alignent »16. Cependant, les Européens ne sont pas en reste.
Les transnationales Européennes et Américaines ont demandé à leurs gouvernements de les subventionner pour la production d’agrocarburants, afin qu’ils deviennent rentables, concernant le soja, la betterave (transformés en biodiesel), les céréales ou la canne à sucre (sous forme d’éthanol). C’est pourquoi, depuis avril 2008, tous les carburants essence et diesel en Grande-Bretagne ont inclus 2,5% de biocarburants. L’UE a envisagé de relever cet objectif à 10% en 2020 »17.
En 2007, les biocarburants représentaient 2,6 % de l’ensemble des carburants utilisés dans les transports routiers en Europe18. Au nom de la sécurité énergétique, en mars 2007, lors du Conseil des ministres européens, il a été « décidé que les agrocarburants devraient représenter 5,75 % en 2010, puis au moins 10% de la consommation d’essence et de gazole des transports, dans chaque État membre (…). Mais, la France a choisi d’aller plus loin que ces objectifs européens »19. Par conséquent, chaque fois qu’un Européen fait un kilomètre en voiture, il brûle actuellement des agrocarburants qui auraient pu être utilisés pour l’alimentation des plus malnutris.
Dans son rapport prospectif sur l’alimentation pour les années 2007-2016, la FAO prévoit une augmentation de 20 à 50% du prix des denrées alimentaires. Selon l’IFPRL, « un institut spécialisé sur les questions d’alimentation et d’agriculture, qui a étudié plus directement l’impact du développement des agrocarburants sur les prix alimentaires, on peut s’attendre à des hausses significatives de nombreuses denrées alimentaires à l’horizon 2020, par exemple de 16 à 30% pour le blé selon les scénarios, ou encore de 54 à 135% pour le manioc, et de 23 à 41% pour le maïs, en raison du développement des agrocarburants »20.
Compte tenu du fait que les agrocarburants n’ont pas bonne presse chez les militants écologistes, ou les militants pour la justice sociale, ils sont abusivement dénommés biocarburants par ses promoteurs plutôt qu’agrocarburants. Or, ils n’ont rien de ’’bio’’, puisqu’ils poussent dopés aux engrais et aux pesticides. De plus, des entreprises, telles Sofiprotéol (et sa filiale Oléosud) ou des fondations, telles Farm réalisent des projets de développement d’agriculture vivrière. Ceci, dans le but de tenter de rendre plus acceptable, par l’opinion publique, le développement des agrocarburants. Ces derniers accroissent directement le prix des céréales dont dépendent les populations plus pauvres pour se nourrir. La fondation Farm mobilise aussi des mécènes (BASF agro, Syngenta, Tereos, Progosa), qui sont des géants agro-industriels ou pétrochimiques, qui cherchent à se racheter une image plus acceptable.
Les pays les plus riches et les grandes entreprises des pays industrialisés achètent des terres au détriment de l’agriculture vivrière locale. Les locations (à très long terme) et ces achats de terre par des agro-industriels visent, à cultiver des agrocarburants ou les céréales qui manquent dans leur pays. À travers ces réformes foncières de nature néolibérale, il s’agit d’ouvrir le marché des terres agricoles aux entreprises occidentales notamment, afin que les plus riches puissent s’octroyer les ressources agricoles déficitaires dans les pays développés. L’ONU estimait en 2008, que 60 millions de personnes sont menacées d’expropriation du fait de l’expansion des cultures destinées aux agrocarburants, dont cinq millions de ces personnes se trouvant en Indonésie21. En 2008, le rapport du Grain évaluait déjà, à 40 milliards d’ha, la superficie des terres, qui avaient été achetées par des transnationales22. Des populations locales sont parfois expulsées, le prix des terres augmente, alors que les terres agricoles accessibles aux petits paysans manquent dans certains pays, tel au Brésil, où les mouvements des « paysans sans terre » militent contre cette situation.
A Madagascar, « le sud-coréen Daewoo Logistics s’est lancé dans la culture de maïs et la production d’huile de palme, où le groupe bénéficie d’une licence d’exploitation de terres immenses pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans. Un accord signé avec le gouvernement, en juillet 2008, lui accorde 1,3 millions d’hectares de terres, soit l’équivalent de la moitié des terres arables de la Grande Île. Les Sud-Coréens comptent, de ce fait, renforcer la sécurité alimentaire de leur pays, quatrième plus gros importateur de maïs »23. Alors que le pays ne produit pas suffisamment de denrées alimentaires pour se nourrir, la population s’insurge. Ainsi, en décembre 2008, le maire d’Antananarivo, Andry Rajoelina, appelle à une grève générale, contre le président de la République de Madagascar, Marc Ravalomanana. En mars 2009, Rajoelina chassera Ravalomanana du pouvoir, pour y prendre sa place. Généralement, ces achats de terres se font discrètement entre les pouvoirs publics et des transnationales, la population n’est pas informée et donc ne se révolte pas.
Le marché des droits à polluer est une opportunité d’accroissement des profits des plus riches au détriment des pays pauvres. Le protocole de Kyoto, dont l’application a débuté en 2005, est censé créer des accords entre les nations afin de diminuer les émissions de CO2 au plan mondiale. Cependant, en 2011, il n’a toujours pas permis de réduire ces émissions qui continuent de croître sans cesse. Par contre, il permet en réalité aux pays les plus industrialisés, d’éviter de réduire leurs émissions de CO2, en rachetant les droits à polluer des plus pays les plus pauvres. Ainsi, les plus riches continuent à polluer, tandis que les nations les plus pauvres, une fois qu’elles ont vendu leur quota d’émission de CO2, sont potentiellement limitées dans leur développement économique. Or, il s’agit de pays, pour lesquels la satisfaction des besoins essentiels n’est pas suffisante et supposerait un accroissement de certains secteurs de production.
Les négociations internationales concernant le commerce du carbone, tel l’initiative REDD (Réduction d’Émissions issues de la Déforestation et de la Dégradation) modifie l’usage des forêts et les terres agricoles des peuples locaux. Morgan Ody, membre d’Europe solidaire, explique qu’une « entreprise polluante en Europe pourra choisir de ne pas réduire ses émissions et compenser, en achetant des crédits-carbone à une entreprise, en Indonésie par exemple, qui possède une forêt. Dors et déjà, alors même que l’accord n’est pas encore signé, des investisseurs, en recherche d’un placement ’’durable’’, commencent à acheter des territoires entieres au détriment des populations qui les habitaient. Ils vendent ensuite les crédits-carbone sur des marchés volontaires et font double profit en commercialisant le bois (…). Toutes les réductions d’émissions auxquelles se sont engagés les pays riches depuis 1997 peuvent se monnayer, en échange de la construction d’une centrale hydraulique ici, d’une plantation de palmiers à huile là-bas »24. « La réalisation de projets économes en GES (implantation d’éoliennes, captage de méthane issu de décharges, substitutions de combustibles, développement de la filière bois, etc.) peut ainsi permettre un transfert de quotas entre signataires du protocole » poursuit Bernier25.
Le marché des droits à polluer et des procédés économes en CO2 devient même une opportunité de profit spéculatif. Aurélien Bernier précise que, pour le groupe Rhodia par exemple, en novembre 2005, son PDG « annonce la rénovation de deux usines situées l’une en Corée du Sud, l’autre au Brésil. En effectuant 14 millions d’euros de travaux sur ces usines, Rhodia va obtenir des quotas de CO2 (77 millions de tonnes), valorisables à hauteur de 200 millions d’euros par an ! Le titre progresse de 14 % dans l’heure qui suit »26.
Le marché des droits à polluer favorise l’implantation des transnationales du Nord dans les PED (Pays en développement). « Compte tenu des niveaux d’équipement et des différences de coût de main-d’œuvre, économiser une tonne de CO2 en Europe demande un investissement de 80 euros. En Chine, la même tonne évitée coûte en moyenne… 3 euros (…). Dès lors, personne ne trouvera étonnant que les entreprises des pays développés préfèrent investir en Chine, pour créer des activités économes en gisement de gaz à effet de serre (GES) ou moderniser des installations existantes, plutôt que de réduire leurs propres émissions. De plus, en abondant des fonds carbone avec de l’argent public, les Etats ont la possibilité d’accorder des aides déguisées, aux entreprises, puisque ce sont elles qui bénéficieront, au final, des quotas nouvellement créés (…). Selon la Banque mondiale, la Chine et l’Inde pesaient à elles seules 73 % des URCE (Unités de Réduction Certifiée des Emissions), et les projets qu’elles accueillaient se comptaient par centaines. Le continent africain dénombrait à peine plus d’une trentaine de projets, et 80 % des crédits s’y concentraient sur trois pays : Afrique du Sud, Égypte et Tunisie »27. Ce marché des droits à polluer permet ainsi, aux pays riches, de subventionner de manière déguisée leurs entreprises, d’accroître l’implantation de leurs industries dans les pays en développement, afin d’augmenter leur profit, au détriment des entreprises locales les plus fragiles. De plus, les entreprises du Nord peuvent ainsi continuer à polluer, tandis qu’elles réussissent à limiter la pollution et le développement des pays pauvres. On constate donc, comment, à partir d’une bonne idée, on peut parvenir à l’utiliser dans un sens différent et à son propre profit,grâce à la stratégie du détournement
Manger moins de viande favoriserait la protection de la planète et permettrait de redistribuer l’accès à la nourriture pour tous. Or, actuellement, à la croissance des agrocarburants, s’ajoute la croissance de la consommation de protéines animales, avec le rapide développement des pays émergents (Chine, Inde, Brésil…), ce qui vient encore limiter le stock de protéines végétales disponibles. Mais, l’usage de ces dernières par rapport aux protéines animales, dans la redistribution des ressources alimentaires mondiales, semble sous-estimé par les populations des pays industrialisés et aussi par les organisations internationales. Comme le précise Pierre Parodi, les protéines végétales nécessitent sept fois moins de terres cultivées pour les produire, que les protéines animales. Cela permet donc de produire sept fois plus de protéines sous forme de céréales, pour l’ensemble de l’humanité. De plus, il ajoute qu’il est tout à fait possible de se nourrir, sans aucun apport animal, lorsque les céréales sont associées aux légumineuses dans l’alimentation. Ces associations font d’ailleurs partie des traditions de nombreux peuples comme la semoule de couscous mélangée aux pois chiches en Afrique du Nord (Parodi, 1964 : 30).28
Néanmoins, même si ce mode d’alimentation est sain et nutritif, il peut être perçu comme une alimentation au rabais, si les Occidentaux ne l’adoptent pas eux-mêmes. Or, si le nombre de végétariens augmente dans les pays du Nord, il reste relativement peu important. Enfin, l’élevage intensif de bovins produit du méthane, car les vaches lorsqu’elles digèrent en renvoient dans l’atmosphère de grandes quantités. En Europe, cela représente près de 10% de l’ensemble gaz à effet de serre, selon l’Agence européenne pour l’environnement (2008). En France, les bovins rejettent, à eux seuls, 26 millions de tonnes de CO2 et le stockage de leurs déjections, 12 millions de tonnes, soit 38 millions. Soit, prêt de 3 fois plus que les 14 raffineries de pétrole qui émettent 13 millions de tonnes de CO2, selon la Caisse des dépôts29. Mais dans la mesure où les Occidentaux importent de la viande, les conséquences d’une consommation carnée sont plus importantes encore en terme d’émission de CO2. De plus, l’élevage s’opère parfois, au prix de large déforestation comme au Brésil, ce qui renforce encore le réchauffement climatique.
9 MINISTERE DE L’ECOLOGIE, Statistiques sur le développement durable, Chiffres clés du climat : France et monde, Les émissions de CO2 dues à l’énergie dans le monde, La documentation française, 2011, http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/FR3_REPERES_2010_FR-Partie_3_cle53772e.pdf
15 CHAKRABORTTY Aditya, Secret report: biofuel caused food crisis Internal World Bank study delivers blow to plant energy drive, The Guardian, 3 juillet, 2008.
17 CHAKRABORTTY Aditya, Secret report: biofuel caused food crisis Internal World Bank study delivers blow to plant energy drive, The Guardian, 3 juillet, 2008.
20 IFPRI International Food Policy Research Institute (IFPRI), in Défi pour la terre, Les agrocarburants, 2010.
21 FORUM PERMANENT DES NATIONS UNIES sur les questions indigènes, 2008
22 GRAIN, Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière, Octobre 2008.
23 COURRIER INTERNATIONAL, Daewoo gagne le gros lot, 20 nov. 2008
24 ODY Morgan, Pourquoi nous lutterons contre un accord à Copenhague, Europe Solidaire, http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article15631, 2009.
25 BERNIER Aurélien, Faut-il brûler le protocole de Kyoto ?, Le Monde diplomatique, déc. 2007.
26 BERNIER Aurélien, Op.Cit. déc. 2007
27 BERNIER Aurélien, Op.Cit. déc. 2007.
28 PARODI Pierre, Efficacité des moyens pauvres dans l’aide au tiers monde, l’Arche, La Borie Noble, 1964, p30.
29Caisse des dépôts, Agriculture et réduction des émissions de gaz à effet de serre, notes d’études n°6, sept. 2005.
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