Services publics
Projet de texte pour l’intervention à Moissac de Georges Dussert (table ronde du vendredi après-midi)
Dès sa création en juin 2005, à Guéret, la Convergence Nationale des Collectifs de Défense et de Développement des services publics a affirmé qu’elle n’entendait pas rester dans une simple posture de résistance à la casse du service public mais bien contribuer à reconquérir celui-ci dans une logique de prise en compte de besoins nouveaux et de démocratisation du fonctionnement des divers services publics.
Nous avons posé le triptyque « défense- développement- démocratisation » du Service Public comme un principe fondamental et défini les attaques perpétrées contre les services publics par les gouvernements successifs dans notre pays pendant plus de trente ans, comme s’inscrivant dans la mondialisation des politiques libérales pour le plus grand profit du système capitaliste financier et de sa volonté de soumettre encore davantage la totalité des activités humaines à la dictature du Marché.
Nous avons affirmé d’entrée que nul ne pouvait s’exonérer du combat pour la défense du service public mais qu’il était indispensable de préciser en même temps et concrètement la nature des services publics que nous voulions, d’où la mise en chantier dès juin 2005 du « Manifeste pour les Services Publics » qui a été présenté en mars 2007 dans le cadre de la campagne des élections présidentielles (Paris, salle Olympe de Gouges) et qui reste à ce jour inachevé dans sa partie annexe conçue comme devant répondre à la question « dans chaque grand secteur d’activité relevant selon nous du périmètre Service Public, de quel service public avons-nous besoin ? ».
Nous faisons du Service Public une question centrale pour le choix de société que nous revendiquons, en fonction des valeurs de liberté, d’égalité, de solidarité et donc de fraternité qui sont celles dont se réclame la République, et qu’on aimerait voir un peu moins souvent allégrement piétinées par celles et ceux qui, du fait d’un système électoral inique, ont la charge de la gouverner.
C’est donc une question profondément politique, qui implique l’ensemble des citoyens et qui est structurante d’un type de société fondé sur l’exercice effectif, par toutes et tous, dans la liberté et l’égalité, des Droits Fondamentaux de l’être humain. Cela nécessite des politiques publiques fondées sur la démocratie, la solidarité, la coopération, et si c’est cela que désigne l’expression « intérêt général » alors oui utilisons-la , comme le faisaient d’ailleurs les textes révolutionnaires de 1789, mais en sachant bien que les dirigeants de l’Union Européenne actuelle emploient ces termes pour désigner des politiques et des instruments soumis aux intérêts privés d’une minorité de financiers opprimant les peuples.
Nous vivons une période où la marchandisation se mondialise de plus en plus au travers d’une économie de plus en plus assujettie à la spéculation financière, avec ses obligations croissantes de rentabilité à court terme. C’est une stratégie globale qui se manifeste par une explosion du chômage et de la précarité comme armes pour faire baisser le coût du travail , par une obsession de la productivité et du chiffre, par un dumping social et une mise en concurrence érigés en dogme, le tout se traduisant aussi par la privatisation de tout ce qui avait été conçu comme relevant des Biens communs et de systèmes de solidarité au service de la collectivité. L’ Etat dans cette affaire ne s’effaçant pas du tout mais réduisant ses champs d’intervention pour privilégier une fonction « d’orchestration » ( sous des formes parfois très autoritaires) et mettant en œuvre des procédures qui délèguent et sous-traitent de plus en plus au privé. Tout cela est très clair avec la RGPP et le désastre qu’elle représente pour l’emploi public et son statut.
Cet appétit et cette radicalité du capitalisme financiarisé, survolté par la faillite du système dit « communiste » et par les compromissions de la social-démocratie vis-à-vis du néo-libéralisme, a certes conduit une intense activité économique à l’échelle mondiale mais avec les contradictions inhérentes à ce système, dont notamment de nombreux conflits militaires régionaux , une dégradation considérable des conditions écologiques sur cette planète, un développement dramatique des inégalités aussi bien à l’échelle des nations qu’à l’intérieur de celles-ci et surtout en privilégiant par la libéralisation complète des capitaux une spéculation financière devenue peu à peu incontrôlable par le volume, la complexité et l’opacité et fragilisant l’ensemble du mode de production et sa cohésion .
Une crise systémique est là mais aussi un refus des peuples d’accepter ce « modèle » qui actuellement est forcé d’abandonner un discours conquérant et séduisant pour prôner l’austérité et les sacrifices sous peine de catastrophes sociales majeures.
Aujourd’hui se développent partout un esprit de résistance et des mobilisations se référant à des valeurs de liberté, de justice sociale et de paix qui constituent à nos yeux de bonnes orientations pour les choix politiques alternatifs à promouvoir et à imposer. Se développe aussi une prise de conscience sur la nécessité que les ripostes forcément diverses et multiples, qu’elles soient dans le champ du travail (entreprises privées et publiques), de la vie quotidienne (monde rural, urbain, grandes métropoles) des institutions directement politiques, doivent se relier, converger dans la mise en cause des politiques à combattre et des exigences à avancer pour organiser autrement et démocratiquement la société.
Avec certes une diversité bien réelle dans les Collectifs composant La Convergence, nous avons une forte homogénéité de conviction sur le rôle déterminant des Biens Communs et des Services Publics dans une société qui placerait la satisfaction des besoins humains et la démocratie au centre de ses principes d’organisation. C’est cette conviction d’ailleurs qui nous amène à apprécier de façon très positive la référence, fréquente dans la période, au Programme du Conseil National de la Résistance de Mars 1944 ( des Collectifs déjà existants dont celui de Creuse avaient d’ailleurs en 2004, pour l’anniversaire de sa publication, participé à la diffusion d’un Appel, à l’initiative de grandes figures de la Résistance et d’ATTAC-France, à retrouver dans une démarche créatrice correspondant aux nécessités d’aujourd’hui, la même volonté politique d’émancipation qui a su mettre concrètement en place, les moyens et instruments institutionnels garantissant les énormes progrès sociaux et démocratiques réalisés à la Libération avec par ex. la Sécurité Sociale, les Nationalisations, le statut de la Fonction Publique…) Dans la bataille des idées, ne laissons jamais cette droite décomplexée, alors qu’elle ne cesse de casser tout ce qui peut représenter, même insuffisamment, une protection sociale, un outil de solidarité, une liberté individuelle non inscrite dans une logique de marché et de fric, se réclamer continuellement, avec un infâme culot, de ces valeurs pour lesquelles des millions de gens du peuple se sont sacrifiés.
Dès l’origine de notre réseau nous avons considéré comme inséparables le combat pour la reconnaissance constitutionnelle du rôle du Service Public et des Biens Communs, et celui pour de nouveaux droits démocratiques (y compris au sein de l’entreprise privée ) dans le cadre d’un exercice effectif de la citoyenneté par toutes et tous.
Il s’ agit là d’ une mise en cohérence indispensable avec la volonté de porter un projet de société fondé à la fois sur la satisfaction des besoins du plus grand nombre, l’exercice par toutes et tous, dans l’égalité, des droits fondamentaux, sur l’organisation de la solidarité et de la coopération. Les rassemblements que nous voulons contribuer à construire dans la durée doivent à nos yeux se fonder sur les convergences mobilisant les salariés, les usagers, les organisations politiques et leurs élus pour mettre les politiques publiques au service de ces principes.
Très concrètement nous mesurons la profondeur des changements que cela suppose dans les modes de gouvernement de la vie sociale et dans la façon dont celle-ci s’organise.
L’ absolue nécessité de développer les Biens Communs et des services publics dans un cadre de vie démocratique de plus en plus large ne se fera pas sans affronter, y compris de façon législative et institutionnelle, le pouvoir des forces organisant la dictature du Marché sur la Vie (et pas seulement celle de l’espèce humaine !). Les questions essentielles que sont pour nous une autre répartition des richesses produites, aux divers niveaux national, continental, mondial, la reconstruction d’outils collectifs de solidarité et de coopération, ne peuvent suffire si le mouvement social et ses luttes ne prennent pas à bras-le-corps la question-clé « dans quel monde voulons nous vivre et quelles nécessités poursuivons-nous ? ».
Pour nous la démocratie ne peut se limiter à des procédures de liberté d’expression, ni même aux conceptions mises en œuvre dans l’administration de l’Etat ; elle constitue avant tout la possibilité pour le plus grand nombre de définir le couple interactif (certains diraient plus justement « dialectique ») des besoins et des droits ainsi que les moyens qu’on se donne politiquement pour en concrétiser la satisfaction et le plein exercice. Quand nous parlons de moyens politiques nous parlons bien sûr AUSSI d’économie et soyons clairs, à La Convergence, nous pensons tout comme le MEDEF et comme bien d’autres, qu’économie et politique sont inséparables, qu’une économie nécessairement s’administre, et nous voulons résolument que s’imposent des politiques publiques démocratiquement élaborées pour une mise en œuvre d’une économie centrée sur les besoins et les droits, et non pas sur le taux de profit des grands groupes capitalistes régnant sur le Marché. En fonction de cela il est indispensable de pouvoir s’appuyer sur un secteur public important, lié fortement au secteur associatif et coopératif, capable de jouer un rôle moteur déterminant aussi bien dans l’orientation de la production, tous domaines confondus, que dans l’aménagement du territoire. La participation reconnue et organisée, de façon institutionnelle, à tous les niveaux, des citoyen-ne-s , salarié-es, usager-e-s, élu-e-s au fonctionnement et contrôle des dispositifs en activité, est évidemment un élément-clé de la démarche d’ensemble.
Il faut se féliciter que de manière précise et concrète, un rassemblement large d’organisations syndicales, associatives, politiques, (dont La Convergence ), initié en décembre 2010 sur l’ affirmation que le Service Public est une richesse et que son développement dans des formes démocratisées est un atout indispensable à tout projet politique visant une issue de progrès social à la crise mondiale actuelle, ait débouché fin janvier 2011 sur la tenue à Orly d’ Etats Généraux du Service Public et sur la publication d’un PACTE POUR LE SERVICE PUBLIC que toutes les organisations se sont engagées à porter et dont il est essentiel que les multiples collectifs agissant dans le mouvement social s’emparent de façon convergente.
Il y a aujourd’hui une bataille idéologico-politique considérable à mener sur les choix de société à opérer en matière de production-consommation, de marchandises et d’usages, du concept profondément politique d’ UTILITE, pour s’attaquer aux logiques dominantes du business et mettre en avant une Economie des Besoins (l’expression est de Jacques Fournier), inséparable d’une gestion démocratique et solidaire des systèmes et dispositifs destinés à la faire vivre.
C’est lorsqu’on l’inscrit dans ce cadre que le débat croissance – décroissance prend tout son sens et sa légitimité, encore que quand on veut le politiser vraiment , c’est-à-dire en formuler la pratique, on mesure l’énorme travail à accomplir pour rendre compte de sa complexité et il en va de même sur la définition démocratique des besoins, les critères et les procédures à mettre en place pour dépasser démocratiquement (??) les contradictions et conflits d’intérêts, afin de construire des accords forcément partiels et évolutifs mais raisonnablement « durables », au sein du corps social.
Pour rester dans l’essentiel la croissance est un élément indispensable du fonctionnement du système capitaliste, son évaluation et celle des phénomènes qu’elle génère selon son degré d’intensité ou son absence sont sans cesse présentées en termes socio-économiques comme des évidences de bon sens, alors qu’on observe simultanément la succession des dégâts écologiques et sociaux dramatiques qui lui sont liés ou encore des « logiques renversantes » comme par ex. la valorisation des actions en bourse saluant l’annonce de plans de licenciements ou plus important encore vis-à-vis de la période actuelle, le lien monnaie-crédit bancaire-dette publique-croissance et les « fatalités d’ austérité » que les médias bien pensants déclinent complaisamment toutes les heures.
Rien n’est plus urgent aujourd’hui que de développer un grand débat public sur la dette publique, la nature des processus politiques qui l’ ont générée et qui en tire profit. Rien n’est plus urgent que de mettre en cause la légitimité de la dette vis-à-vis des intérêts des peuples et bien entendu au cœur de cette mise en cause on retrouvera la folie productiviste du capitalisme, ses gaspillages, ses destructions massives au nom d’une modernité créatrice qui divise les populations, creuse les inégalités, formatent les consciences et rognent les libertés.
La problématique de la définition démocratique des besoins, inséparable de celle des droits fondamentaux et de l’exercice de ceux-ci par toutes et tous, dans l’égalité, ( le lien entre les deux comporte des enjeux considérables au regard du collectif et de la solidarité, du dépassement des contradictions inhérentes au réel, notamment en matière d’organisation sociale, et des inévitables conflits qui les accompagnent) nous force à « penser complexe » pour reprendre l’expression d’Edgar Morin.
En tout cas faire fonctionner les deux problématiques dans le cadre d’une citoyenneté bien vivante et dynamique nous conduit à prendre conscience de l’absolue nécessité de démocratiser l’appareil productif et de faire reconnaître dans le Droit que les salarié-e-s ont leur mot à dire sur les stratégies et le fonctionnement des entreprises qu’ils/elles font tourner, que l’aménagement du territoire, l’ organisation de la vie locale au niveau de l’activité productive comme de l’habitat et de l’organisation de l’existence quotidienne ne peuvent seulement dépendre des décisions d’actionnaires ou de technocrates obsédés par la rentabilité financière à court terme. A un autre niveau c’est quand même hallucinant de constater que la légitimité des agences de notation à distribuer leur 3A de bonne gestion à tel ou tel Etat n’est pratiquement jamais interrogée dans les médias qui règnent sur l’info !!!
Développer réellement une démocratie politique des besoins c’est forcément sortir du dilemme manichéen croissance-décroissance pour voir que des réorientations sont nécessaires, que des abandons vont s’accompagner de créations, que des relocalisations vont coexister avec des coopérations et des liaisons inter-nationales, continentales, mondiales, qu’il n’y a pas incompatibilité entre des programmations et des planifications nationales d’une part et des services de proximité d’autre part, quand dominent des logiques de coopération et de solidarité sur des logiques de concurrence et de rentabilité.
Nous pensons à La Convergence que l’intérêt général n’a de sens qu’avec l’exigence démocratique partagée par toutes et tous et la volonté politique de favoriser à tous les niveaux la prise en main par les citoyens de leurs propres affaires. Impossible d’éluder dans ces conditions la nécessité à côté de la reconquête du service public, la création institutionnelle d’instances réellement participatives où se débattraient les besoins et les projets aptes à les satisfaire. Ne découvrons surtout pas qu’ une telle démarche exige une organisation de la vie sociale valorisant le temps d’activité libre et l’information civique et sociale. Là aussi il nous semble que l’activité de proximité d’éducation populaire est essentielle et qu’elle inclut tout particulièrement la responsabilité des élus locaux. Pour terminer sur une note très concrète méditons politiquement sur l’action entreprise concernant le retour à la gestion publique de l’eau potable dans divers départements et notamment l’Essonne et les Landes.
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