Les ceintures vivrières en région parisienne, outil de relocalisation alimentaire
Par Jean Luc Pasquinet
1 – Au départ un élément central de la construction de la ville, les ceintures maraichères vont disparaitre avec la ville
Lorsqu’on se penche sur l’histoire de la ville de Paris et de ses environs, on comprend que l’histoire moderne, depuis au moins l’apparition du chemin de fer, est celle de la destruction de la ville et de la campagne.
Tout a commencé avec le chemin de fer. Alors, les villes vont être traversées par des rails, le nombre de voyageurs va croître, les Français vont sortir des quelques kilomètres carrés où la plupart vivaient l’essentiel de leur vie depuis des siècles.
Pour accueillir ces nouveaux venus, il a fallu détruire des ceintures maraîchères et les repousser toujours plus loin. Au début, tout se passait quasi naturellement ; avec l’augmentation du trafic ferroviaire, tout va se compliquer, les maraîchers vont commencer à décliner. Néanmoins, le déclin va s’accélérer avec l’arrivée de l’automobile et sa diffusion. Alors la séparation entre lieux d’habitat et lieux de travail va s’imposer, les villes dortoirs vont se multiplier, les lotissements, pousser comme des champignons, les ceintures maraîchères, disparaître.
Par conséquent, l’histoire de la ville de Paris pourrait presque se résumer à un déplacement des ceintures maraîchères pour laisser la ville construire des logements. « Il est généralement connu que toutes les fois qu’on a reculé l’enceinte de Paris, les jardiniers maraîchers ont été obligés de se reculer aussi pour faire place à de nouvelles bâtisses, et que ce déplacement leur était toujours onéreux, en ce qu’ils quittaient un terrain amélioré de longue main pour aller s’établir sur un nouveau sol, souvent rebelle à leur culture, et qui ne pouvait être amélioré qu’avec le temps et de grandes dépenses. (…) Jusqu’en 1780, on voyait des jardins maraîchers le long du boulevard, depuis la porte Saint-Antoine, aujourd’hui place de la colonne de Juillet, jusque près de la Madeleine, depuis longtemps, on n’en voit plus aucun »1.Un marais demandait plusieurs années pour devenir productif, grâce notamment, au recours à la fumure de cheval. Puis, avec l’essor de la ville on allait plus loin et on recommençait. Cette dynamique a pris fin avec l’essor de la société du pétrole. A cause de l’automobile, les gens vont aller habiter de plus en plus loin du centre-ville, mais ils vont aussi importer plus d’aliments, et surtout les ceintures maraîchères vont se heurter aux terres céréalières, symbole de l’agriculture productiviste et à forte intensité capitalistique2. Ici, le prix des terres agricoles se confond avec celui des terres constructibles.
Sous l’Ancien Régime, les jardiniers parisiens sont au cœur de la ville (Saint-Antoine, Saint-Martin, Gros Caillou, etc.).
En 1809, tous les maraîchers sont installés dans les 12 arrondissements centraux de Paris
En 1859, aucun dans les 12 arrondissements centraux, 45 % dans les arrondissements périphériques et 55 % en banlieue
2/3 en banlieue en 1873
80% en 1882
90% en 1912
En 1958, il ne reste plus que 2 maraîchers dans Paris
2 – Si on compare l’évolution du nombre de maraichers à l’évolution de la population, les deux courbes suivent des directions totalement opposées :
1845, on pouvait encore trouver 1800 jardiniers maraîchers-maîtres autour de Paris, répartis sur 1800 « marais » d’une surface de 1378 ha, autrement dit chaque maraîcher travaillait des terrains compris entre un demi et un hectare3. Ces superficies et cette population de maraîchers étaient suffisantes pour nourrir Paris et sa petite banlieue. A cette époque, la population parisienne et de la proche banlieue s’élevait à environ 1 à 1,5 million de personnes.
En 1929, la préfecture de police recense environ 358 « principaux centres maraîchers » au sud de Paris auxquels s’ajoutaient 319 au nord, soit un total d’environ 677 principaux centres maraîchers4. En 1929, la population de Paris et sa banlieue s’élevait à environ 5,5 millions de personnes.
De 1845 à 1929, on est passé d’un ratio de 833 personnes nourries par un maraîcher à 8124, soit une multiplication par dix. Le nombre d’exploitations ne va cesser de diminuer au fur et à mesure que la population va s’accroître.
Si l’on prend le cas de Châtillon, après avoir culminé à 34 exploitations en 1882, ce nombre va diminuer à 13 exploitations en 1929, 5 en 1936, le dernier, M. Maurice Chaudron, partira à Massy en 1969. « Lorsque M. Chaudron dit que l’on aurait dû maintenir, dans Paris, un marché pour les maraîchers, il exprime clairement que la création de Rungis a sonné le glas de sa profession. »5
C’est l’ouverture du marché de Rungis qui va porter un coup fatal à cette profession. Avec Rungis, le recours à des importations venant des autres régions, voire du reste du monde n’a cessé d’augmenter grâce à l’essor des transports, du pétrole et de son monde. Cette dépendance aux importations hors région parisienne n’a cessé de s’accroître jusqu’à aujourd’hui, aux dépens de la qualité des produits, et de la biodiversité.
Car avec la disparition de ces maraîchers ont aussi disparu des spécialités comme le raisin de Montmorency, les pêches de Montreuil, la laitue noire de Châtillon, des variétés de concombres, de choux fleurs, ainsi que des savoir-faire ancestraux, la culture sous cloche de verre, le recours au fumier de cheval…
3- Analyse du maraichage parisien traditionnel :
3.1 Un circuit intelligent :
-Réutilisation de la fumure de cheval, enrichissement des terres, et livraison sur les marchés.
-Un système de production et de commercialisation
3.2 Culture de la vigne et polyculture intensive, la terre est rare mais la main-d’œuvre est abondante.
-1⁄4 à 1/3 de la production des gros légumes pour la capitale dans les années 1860
Exemple de culture particulière et d’adaptation intelligente au milieu : les murs à fruits de l’est parisien : beaucoup de murs, des puits et une énorme quantité de main d’œuvre.